Créée en 1820, la maison de traiteur Potel et Chabot est devenue tour à tour celle des rois, des élites et des grandes sociétés avec une ambition inchangée : offrir ce qu’il y a de meilleur et de plus novateur en conciliant tradition et modernité. Nouvelles générations, nouvelles aspirations, nouveaux clients : comment continuer à séduire ? Pour répondre à ces questions, le Cercle des Entreprises Centenaires a organisé une rencontre autour du CEO de cette entreprise, Alain Postic, et de Patrick Rambourg, historien des pratiques culinaires et alimentaires à l’Université Paris-Diderot et auteur (notamment) de Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises (Perrin / coll. tempus).
Potel et Chabot est le dernier représentant des nombreuses maisons parisiennes de traiteurs apparus au XIXè siècle. Dans quelle mesure son essor est-il lié au rayonnement dont bénéficie Paris à l’époque ?
Patrick Rambourg – En 1820, Jean-François Potel, rôtisseur-pâtissier, et Etienne Chabot, officier de bouche du duc d’Orléans, s’associent pour ouvrir une boutique de comestibles haut de gamme rue Montmartre puis non loin du Palais Royal. Ce n’est qu’ensuite qu’ils décident de devenir traiteurs, un métier alors en plein essor.
Très tôt, Potel et Chabot décide de s’adresser à une clientèle élitiste, huppée : une clientèle parisienne qui recherche une gastronomie particulière. L’entreprise participe à l’organisation des grands événements politiques et culturels (les banquets d’Etat, pouvant rassembler plusieurs milliers de convives, les Expositions universelles), ce qui contribue à sa renommée, alors même que Paris attire tous les regards : Potel et Chabot en profite et, assez rapidement, s’exporte en organisant des banquets et des événements à l’étranger.
Potel et Chabot assoit donc sa renommée au XIXe siècle. Le siècle suivant est-il aussi heureux ?
Patrick Rambourg -Oui : malgré les crises du XXème siècle, Potel et Chabot parvient à maintenir son ascension. L’entreprise a toujours su s’adapter, malgré la conjoncture et les restrictions alimentaires liées aux deux conflits mondiaux. Dans la seconde partie du XXe siècle, elle parvient à épouser les grandes mutations de la société tout en conservant ses racines : Potel et Chabot allie innovation et tradition comme, d’ailleurs, l’a toujours fait la cuisine française.
La crise sanitaire a-t-elle été un choc historique pour l’entreprise ?
Alain Postic – C’est incontestablement une des plus graves crises que nous ayons eu à affronter. : nous avons perdu 90% de notre chiffre d’affaires en 2020. L’entreprise a depuis été restructurée, refinancée, et est aujourd’hui sauvée.
Selon vous, pourquoi l’entreprise a-t-elle réussi à traverser les siècles ?
Alain Postic -Parce que nous avons la transmission chevillée au corps : un de nos chefs, spécialisés dans la cuisson des viandes par exemple, s’attache depuis… 15 ans à transmettre au quotidien son savoir à un chef plus jeune. La volonté d’être constamment un passeur de savoirs est donc au cœur de l’ADN de l’entreprise, dans un contexte où l’adaptation aux goûts, aux modes, aux préoccupations des clients doit être de mise. Ainsi de la viande : elle est évidemment toujours présente dans l’offre de Potel et Chabot, mais les clients veulent connaître son origine, demandent des produits d’une qualité parfaite. Et si l’entreprise doit à l’avenir « végétaliser » son offre pour tenir compte d’une évolution des goûts et des aspirations, il faudra apprendre : apprendre, par exemple, à en conserver toute la fraîcheur et tout le croquant d’un légume quel que soit le contexte, y compris lorsqu’il faut servir au même moment plusieurs milliers d’assiettes.
Patrick Rambourg – La transmission est au cœur de la cuisine française : c’est d’ailleurs une des principales explications de son succès. Dès le Moyen-Age, les chefs ont écrit, codifié leurs savoir-faire pour les transmettre aux générations futures. Attention toutefois à ce que cette codification ne devienne pas un carcan : Potel et Chabot a su éviter cet écueil tout au long de son histoire : la tradition est évidemment là, mais cette maison a toujours su comprendre les modes et l’évolution des goûts, s’inscrivant continuellement dans la modernité.
Le contexte culinaire français et mondial change profondément depuis le début du XXIe siècle : on parle de plus en plus de cuisine végétale, le légume n’étant plus cantonné au rang de garniture. Sous l’impulsion d’Alain Passard, sous le coup surtout d’une défiance croissante vis-à-vis des produits carnés, le légume est au goût du jour : il est dorénavant au cœur de la cuisine, voire son ingrédient principal. La cuisine se veut plus équilibrée pour le corps, plus respectueuse du bien-être animal et de la nature en général ; l’on parle désormais de « gastronomie durable ». Bien manger, oui, évidemment : mais pour des individus de plus en plus nombreux sur terre, il n’est pas simple de consommer des produits avec des conditions de production et de transport qui respectent notre planète. Mais il y a une réelle prise de conscience. Le guide Michelin ne s’y trompe pas : il décerne désormais, en plus de ses classiques étoiles, un trèfle vert qui distingue précisément les cuisinières et les cuisiniers qui s’inscrivent dans cette tendance d’une « nouvelle » cuisine, respectueuse de l’environnement et des hommes. Potel et Chabot a bien compris cette évolution, mène des réflexions à ce sujet, et, comme le rappelait Alain Postic, fait évoluer son offre.
Potel et Chabot a redémarré plus vite et plus fort que ses concurrents. Pourquoi ?
Alain Postic – Nous sommes en capacité d’apporter ce que l’on peut qualifier de « garantie de bonne fin » à ses clients. Des clients qui n’ont organisé aucun événement pendant plus de 18 mois : dans la mesure où ils souhaitent et peuvent désormais le faire, ils ne veulent prendre aucun risque, ils veulent que la fête soit parfaitement réussie. De fait, ils se tournent vers Potel et Chabot compte tenu de l’immense confiance dont nous jouissons.
La reprise a-t-elle été difficile ?
Alain Postic – La crise du Covid-19 a repoussé les frontières du possible. Nos équipes sont parfaitement conscientes que les acquis sont certes importants, mais ne suffisent pas dans un monde incertain : elles ont compris que l’adaptation allait devenir la norme et ont agi de la sorte.