« Relocalisation », « réindustrialisation » : alors que la crise du Covid-19 a mis en lumière notre dépendance à l’égard de pays étrangers pour la fourniture de certains produits, les pouvoirs publics français souhaitent relocaliser certaines productions et donner un nouveau souffle aux entreprises industrielles françaises. Ils peuvent pour cela s’appuyer sur un tissu industriel composé d’entreprises centenaires, voire pluricentenaires, qui ont tenu bon et conservé leurs productions – et leur savoir- faire – dans l’Hexagone tout en demeurant compétitives grâce à leur capacité à innover.
Pour en parler, le Cercle des entreprises centenaires a convié deux dirigeants : Didier Trutt, Président-Directeur général de IN Groupe – ex Imprimerie nationale – et Yves Noirot, Directeur général des Fonderies de Sougland.
Rien ne rapproche a priori ces deux entreprises, hormis leur ancienneté : les Fonderies de Sougland sont nées en 1543 et l’Imprimerie nationale, alors Imprimerie royale, en 1640. L’impression de livres n’est plus du tout au cœur de l’activité de cette dernière, devenue société anonyme à actionnaire unique – l’Etat – en 1993 et qui utilise la marque commerciale IN Groupe depuis 2018 : « Nous proposons désormais des solutions d’identité et des services numériques sécurisés à la pointe de la technologie, intégrant électronique, optique et biométrie. » indique Didier Trutt : « Nous nous positionnons sur toute la chaîne de valeur numérique depuis l’entrée en relation digitale, la validation, l’émission jusqu’à la gestion complète du cycle de vie et l’exploitation des données sensibles ». Systèmes et documents d’identité nationale physique et numérique, solutions d’optimisation et de contrôle aux frontières, certification du cycle de vie de produits et de documents sensibles…, composants optiques pour sécuriser les billets de banque… La palette de solutions proposées par IN Groupe est large.
Les Fonderies de Sougland, PME aisnoise comptant aujourd’hui plus de 70 salariés, a elle aussi vu son activité profondément évoluer au cours des siècles. Une entreprise qui ne se définit plus comme un manufacturier mais, comme le souligne Yves Noirot, « un apporteur de solutions : nous étudions et produisons des pièces d’acier et de fonte allant de quelques grammes à 2,5 tonnes à l’unité ou en petite et moyenne série. Nos clients ont coutume de dire qu’ils trouveront forcément chez nous la solution qu’ils ne trouvent nulle part ailleurs sur le marché. Nous ne produisons pas pour des clients, nous les accompagnons dans la résolution d’un problème ». Une approche qui fonctionne au vu de ses clients prestigieux : le Groupe allemand MAN, la RATP et même l’US Navy.
Innover, innover et encore innover
Deux entreprises pluricentenaires donc, mais qui ont su traverser les siècles avec la même recette : l’innovation perpétuelle. Celle-ci est encore aujourd’hui au cœur de leur business model. « Notre modèle économique repose sur le triptyque Investissement, Innovation, International » confirme Yves Noirot. « L’innovation est la clé, puisque c’est elle qui nous permet de proposer des solutions parfaitement adaptées aux besoins de nos clients ». A Sougland, 7% du chiffre d’affaires est consacré à la RD – une R&D 100% intégrée. On investit dans de nouvelles machines, on crée des prototypes, on utilise un logiciel de simulation de coulée de métal en fusion… Rien d’étonnant donc à ce que cette entreprise soit labellisée « Entreprise du futur », « Vitrine industrie du futur », « French Fab », « Entreprise du patrimoine vivant», « France Savoir-faire d’excellence »…, sans compter les nombreuses certifications ISO. IN Groupe a également opéré sa mue en misant tout sur l’innovation. « Nous n’avons pas eu le choix » reconnaît Didier Trutt : « Pour des raisons de sécurité, la plupart des documents que nous imprimions ont dû être dotés d’une forte dose de technologies. Et pour cela, nous avons été conduits à acquérir de nouvelles compétences, de nouveaux métiers, de nouveaux savoir-faire ». Deux entreprises qui ont su s’adapter grâce aux hommes et aux femmes qui les composent car la capacité de ces deux entreprises à traverser les siècles et à être à la pointe du progrès tient beaucoup aux hommes.
« Notre projet n’est pas basé sur des outils numériques, des robots… Rien ne serait possible sans les hommes qui sont, encore aujourd’hui, au cœur de notre usine » précise Yves Noirot. Même constat chez IN Groupe, dont les effectifs sont d’ailleurs en croissance (1 800 collaborateurs) : « Nous comptons actuellement 750 techniciens spécialisés en informatique, en biométrie, en codage, en protection des données… Sans eux, il est clair que nous ne serions pas en mesure de proposer des solutions parmi les plus innovantes et les plus sûres du marché » confirme Didier Trutt. Mais passer d’une activité d’impression à la production de solutions de sécurité n’a pas été sans douleur : il a fallu embarquer le corps social. « Cela n’allait pas de soi » estime Didier Trutt. « Mais nous avons clairement affirmé que ceux qui accepteraient de passer à un nouveau métier bénéficieraient de toute notre aide. En regard, nous avons clairement dit également que ceux qui ne voulaient pas entrer dans cette logique de transformation ne pourraient pas rester dans l’entreprise. Nous avons donc accordé beaucoup d’énergie et d’efforts à l’accompagnement de ces salariés qui, pour certains, ont dû retourner sur les bancs de l’école pour apprendre de A à Z un nouveau métier. Ce n’était pas simple pour eux, nous en sommes bien conscients ». Mais cela a fonctionné, aussi parce que les dirigeants ont passé beaucoup de temps à rencontrer les salariés, à dialoguer avec eux, à expliquer sans relâche leur stratégie et leur vision. Une logique qui produit encore aujourd’hui des effets positifs : « Dans la mesure où nous avons réussi les transformations que nous avons annoncées, nous sommes davantage écoutés lorsque nous en envisageons d’autres : la dématérialisation totale des titres d’identité par exemple » précise Didier Trutt.
Aux Fonderies de Sougland, on est également conscient du rôle des hommes dans la réussite de l’entreprise. « Nous accordons énormément de moyens à la formation » souligne Yves Noirot. « En témoigne l’existence d’un centre de formation intégré à l’entreprise, qui est ouvert aux nouveaux collaborateurs et aux plus anciens, mais aussi à un public externe : car tout le monde doit pouvoir monter en compétences et devenir polyvalent ». Ce centre de formation propose ainsi à tous des formations métallurgiques et fonderie, des formations à la bureautique et, plus étonnant, des formations au management. On donne ainsi à chacun la possibilité d’aspirer à de nouvelles fonctions, selon ses ambitions. « il est un élément majeur pour attirer de nouveaux talents » indique Yves Noirot. « Le territoire sur lequel nous sommes implantés, la Thiérache, est peu connu et relativement isolé. Nous nous devons de proposer plus pour être visibles et attractifs ».
Et demain ?
Alors, comment envisage-t-on l’avenir dans ces deux entreprises uniques par leur savoir-faire, leur sens de l’innovation et leur histoire ? Pour Didier Trutt, « toutes les entreprises sont prises dans un voyage permanent et nous ne faisons pas exception : notre programme de transformation s’appelle à dessein Odyssée. C’est un programme de transformation perpétuelle puisque nous devons constamment remettre en question nos certitudes. Notre promesse, tant envers les collaborateurs que les clients, évoluent continuellement. Charge aux dirigeants que nous sommes de constamment challenger notre vision, de la remettre en cause pour penser le coup d’après ». Yves Noirot ne dit pas autre chose : « Nous sommes également engagés dans un mouvement et une adaptation permanents et incessants : établir un business plan à cinq ans est devenu impossible, c’est tous les ans que nous devons reconstruire celui-ci ! Et notre trajectoire ne s’apparente plus du tout à une ligne droite : c’est au contraire un parcours sinueux, semé d’embûches. Plus que jamais, c’est la capacité d’adaptation des entreprises qui conditionnera leur pérennité, voire leur survie ».